13 janvier 2009

Figaroscope

Jean la Chance, Brecht saisi par la jeunesse

Texte de jeunesse de Bertolt Brecht, Jean la Chance est demeuré longtemps inconnu. Il a été retrouvé vers la fin des années 1990 dans les archives du Berliner Ensemble. Brecht l'aurait composé à l'automne 1919 alors qu'il a écrit la première version de Baal. Il n'a que 21 ans. Il élabore cette petite épopée en s'inspirant d'un conte des frères Grimm, Hans im Glück. Jean est un paysan au coeur pur, mais à la volonté incertaine. Il rêve, il entreprend. Il croit à la bonté de l'homme parce que lui-même est sans malice. Il fait confiance. Il ne sait pas dire non. Il est emporté par un étrange processus de troc. Il y a du voyage initiatique dans ce parcours avec embûches dont Brecht n'a pas écrit la fin. Ce personnage attachant ressemble au Galy gay d'Homme pour homme. La naïveté de Jean réussit aux méchants, aux cupides. Mais elle fait le malheur de la douce Jeanne, promise aux eaux noires de l'anéantissement. Il y a de la chanson triste dans cette très belle pièce qui tourne comme le manège qui fascine notre antihéros, qui tourne comme une ritournelle entêtante ou un vol de corbeaux sur une plaine glacée. 

Une découverte 

Jean la Chance séduit les metteurs en scène. Et il est très intéressant de constater que l'écriture du tout jeune Brecht inspire des spectacles très différents. En France, c'est Jean-Claude Fall qui en a proposé la première version passionnante avec, dans le rôle-titre, un comédien d'une finesse et d'une humanité bouleversante, David Ayala. Fall avait souligné, en décors superbes, chants très travaillés, la richesse de la féerie et la part de la nature. Depuis, Élisabeth Hölzle a proposé sa lecture intelligente et lumineuse. Jean la Chance est un héros d'avenir. 

Critique 

François Orsoni se saisit d'une manière radicale de cette inachevée. S'appuyant sur la traduction de Marielle Silhouette et Bernard Banoun, il travaille en petite formation. Cinq interprètes seulement sur le grand plateau sombre du Théâtre de la Bastille qui sont déjà en scène lorsque le public pénètre. Ils savent jouer, bouger, danser, chanter. Aucun décor, mais un dispositif de concert rock. Les comédiens se changent à vue, passent d'un personnage à l'autre. Les éléments d'appui sont réduits à presque rien et sans doute les spectateurs qui ne connaîtraient pas l'intrigue auront-ils quelque mal à saisir ce qu'il y a d'enchanteur dans ce conte de Bertolt Brecht. La composition musicale de Tomas Heuer, en scèhne à la guitare, est nerveuse, toute en stridences et déchirements. Il incarne l'ami ambivalent, le tentateur. Thomas Landbo glisse d'un rôle à l'autre avec fluidité comme l'extraordinaire petite flamme à métamorphoses qu'est Suliane Brahim. On retrouve avec bonheur l'acide et profonde Clotilde Hesme (prix Jean-Jacques Gautier 2008) en éblouissements, blessures, chants douloureux. Alban Guyon, tendre, vulnérable, est Jean. On dirait un frère de Liliom, visage lavé de tout péché. A la fin, que comprendre ? Bien sûr l'humanisme rayonnant du jeune Brecht,sa foi, sa lucidité, la beauté des images, la féérie qui nimbe l'écriture, sont un peu écrabouillés par ce traitement drastique. Mais le projet est cohérent. Ici, la jeunesse a la parole. Qu'elle triomphe ! 

Armelle Héliot